mercredi 27 avril 2011

Histoire du livre et histoire des Lumières

Il est bien agréable de croire au genius loci, au génie du lieu, et de découvrir à l’occasion d’une visite la maison dans laquelle tel auteur important, tel peintre ou tel artiste a vécu et travaillé. Le succès d’institutions comme la Maison de Claude Monet à Giverny témoigne de l’intérêt d’un public plus large qu’on ne croirait, et les itinéraires de «maisons d’écrivains» se dévoilent ici et là à travers la France (Balzac à Saché), mais peut-être plus particulièrement à Paris et autour de la capitale (voir, tout récemment, l'ouverture de la maison de Jean Cocteau à Milly-la-Forêt).
Si certaines de ces «maisons» n’ont finalement qu’un lien assez lâche avec une figure qui n’y a que peu résidé, tel n’est absolument pas le cas pour La Vallée aux Loups, la maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry, aux portes de Sceaux...
Chateaubriand en tant que tel intéresse bien évidemment l'historien du livre, mais ce n'est pas de lui qu'il sera question ici. La Maison de Chateaubriand ouvre en effet aujourd’hui même sa nouvelle exposition consacrée à une figure exceptionnelle des salons des Lumières: «Madame Geoffrin, une femme d’affaires et d’esprit» (exposition ouverte jusqu’au 24 juillet).
On sait le rôle des salons dans l’organisation de l’espace public au XVIIIe siècle, et on a vu dans le développement de cette forme particulière de sociabilité un des indices les plus évidents de l’affaiblissement, après 1715, du règne de la cour louis-quatorzienne au profit de la ville, en l’occurrence la capitale -et ses salons. Or, de 1727 à 1766, Madame Geoffrin, née Marie-Thérèse Rodet, tient précisément le premier et le plus influent de ces salons, ouvert aux personnes de qualité, aux artistes, aux «philosophes» et aux gens de lettres.
L’hôtel de la rue Saint-Honoré s’impose alors comme une institution des Lumières, connue de toute l’Europe éclairée et à ce titre visitée par les diplomates et par les voyageurs étrangers de marque à l'occasion de leur passage à Paris: citons Kaunitz, envoyé du Saint-Empire, futur chancelier autrichien, et habitué du salon lors de son séjour parisien de 1750 à 1753; on pourrait aussi penser au comte de Caylus, dont on connaît le rôle dans le domaine de l’histoire de l’art, et à bien d’autres. Le célébrissime tableau de Lemonnier conservé au Musée de Rouen les met en scène à la manière d'une véritable galerie rassemblée a posteriori (cf. cliché): d’Alembert, Buffon, Caylus, Fontenelle, La Condamine, Marivaux, Malesherbes, Marmontel, Montesquieu ou encore Turgot, sans oublier Choiseul-Stainville...
L’exposition de La Vallée aux Loups n’est pas une exposition d’histoire du livre, mais on comprendra que l’historien du livre spécialiste des Lumières y trouve quantité d’informations à glaner et de découvertes à faire. Ajoutons qu’un salon est une œuvre temporaire, et que celui de Madame Geoffrin n’échappe évidemment pas à la règle.
C’est peu de dire qu’une telle institution n’est que bien difficilement présentable sous forme d’une exposition: et c’est tout le mérite de Bernard Degout, directeur de la Maison de Chateaubriand et l’un des deux commissaires de l’exposition, que d’avoir parfaitement réussi cette évocation, en réunissant un ensemble extraordinaire de pièces dont beaucoup appartiennent à des collections privées ou sont rarement accessibles au public français. Pour reprendre la formule d'un célèbre guide, l'exposition de La Vallée aux Loups vaut d'autant plus le voyage que celui-ci est très facile par le RER (le RER B jusqu'à Robinson, sur l'ancienne ligne de Sceaux, soit un trajet qui représente en lui-même une page de l'histoire de Paris et de sa banlieue).
Rappelons pour conclure la publication récente du beau livre de Maurice Hamon consacré à Madame Geoffrin, cette attachante figure d’un moment clé de l’histoire culturelle et sociale de la France dans le dernier siècle de l’Ancien Régime. Le riche catalogue publié à l'occasion de l'exposition vient compléter cette biographie exemplaire.

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