dimanche 3 septembre 2017

À Athènes, la Bibliothèque d'Hadrien

Au IIe siècle de notre ère, Pausanias, probablement né dans une ville grecque d’Asie mineure et qui a reçu une très bonne formation classique, reste pratiquement pour nous un inconnu, en dehors du seul livre que nous connaissions de lui, la Périégèse de Grèce. Il s’agit d’une manière de guide historique de voyage, dans lequel Athènes occupe une place clé. Connu par un manuscrit ayant appartenu au célèbre libraire florentin Niccolò Nicoli, le texte de Pausanias est déjà apprécié des humanistes: il est cité par Gargantua dans les ouvrages que celui-ci recommande à Pantagruel. Traduit et publié en français dans les années 1730, il sera l’un des usuels principaux sur lesquels s’appuie la redécouverte de la Grèce à l’époque des Lumières –et comme tel utilisé par le comte de Choiseul lorsque celui-ci part à son tour à la découverte de la Grèce de ses rêves.
Au livre I (XVIII, 9), Pausanias s’avance vers l’Acropole et décrit le quartier qu’il traverse, et qui a gardé le souvenir des travaux engagés par l’empereur Hadrien:
Le mur du fond de la Bibliothèque... en travaux
L'empereur Hadrien a décoré la ville par bien d'autres monuments, il a fait bâtir le temple d’Héra [Junon], celui de Zeus [Jupiter] Panhellénien, et un autre qui est commun à tous les dieux [Panthéon]. Dans ce dernier on admire surtout cent vingt colonnes de marbre de Phrygie, et des portiques dont les murs sont de même marbre; on y a pratiqué des niches qui sont ornées de peintures et de statues, et dont le plafond brille d'or et d'albâtre. Il y a près du temple une bibliothèque, et un lieu d'exercice qui porte le nom d'Hadrien, où vous voyez cent colonnes de beau marbre tiré des carrières de Libye. 
Le texte de Pausanias n’est pas absolument clair, surtout parce qu’il y serait question de plusieurs complexes de bâtiments différents, à savoir trois temples, et une bibliothèque. Les spécialistes hésitent toujours sur l’interprétation précise à lui donner, mais une conception fréquente consiste à imaginer un Panthéon monumental, intégrant les deux temples à Jupiter et à Junon, et auquel serait adjointe une grande bibliothèque. On sait en effet que, le plus souvent, la célébration du culte impérial est associée à l’existence d’une grande bibliothèque fondée par un empereur – en l’occurrence, il s'agit d'Hadrien (76-138). Le successeur de Trajan a un temps étudié à Athènes, il appréciait particulièrement les lettres et les arts, et il reviendra à plusieurs reprises pour des séjours dans la capitale de la Grèce, une ville qu’il s’attache à transformer et à illustrer par un ambitieux programme d’aménagement. 
Maquette de la Bibliothèque d'Hadrien (© Musée de la civilisation romaine, Rome)
Cette «Bibliothèque d’Hadrien», selon le terme consacré par la tradition, est l’un des monuments dont le visiteur d’aujourd’hui peut encore découvrir les vestiges. Elle a été construite en 132-134: on entre par un propylon dans une grande cour à quatre portiques (c’est là que sont les colonnes de marbre mentionnées par Pausanias) et donnant sur une grande salle. Celle-ci accueille la bibliothèque elle-même (bibliostasio), entourée de deux salles plus petites (cf infra plan, n° 8) et de quatre pièces secondaires, dont probablement deux escaliers. L’ensemble du dispositif est encadré par deux salles aménagées en amphithéâtres pour des lectures, des cours ou des conférences (9).
La salle de bibliothèque (7), dont un mur est en partie conservé, était de plan rectangulaire: elle donnait sur le péristyle par cinq grandes ouvertures, tandis que les autres murs étaient aménagés pour la conservation des volumina. Selon le système classique, ceux-ci étaient disposés dans des sortes de grands placards de bois aménagés comme des niches: seize sur le grand mur du fond (celui conservé), et douze sur chacun des petits côtés, soit un total de quarante, pour un fonds estimé à 16 à 20 000 rouleaux (donc, 400 à 500 par «travée»). Le sol et le revêtement des parois sont en marbre, tandis que l’ensemble accueille aussi des statues –des statues d’Hermès, de différents personnages liés à la bibliothèque, etc., mais peut-être aussi les deux statues de l’Iliade et de l’Odyssée déjà mentionnées à propos de Pantainos.
Quoi qu’il en soit, si les hypothèses que nous avons brièvement rappelées sont exactes, elles viennent confirmer trois caractéristiques intéressantes:
D’abord, l’évergétisme aussi peut être analysé selon les catégories anthropologiques appliquées au don: il y a bien, dans la société des villes romaines du début de notre ère, une demande croissante en livres. Les empereurs et les citoyens les plus aisés répondent à cette demande en fondant des bibliothèques publiques, qui sont en même temps des espaces de travail et d’enseignement.
Mais voici le contre-don: ces bibliothèques n’ont pas pour seule fonction la conservation et la consultation des volumina, elles sont aussi des lieux destinés à honorer leur fondateur, et à appeler sur ceux-ci la bienveillance des dieux.
Pour terminer, ces deux premiers éléments éclairent la structure spatiale des institutions: la bibliothèque n’en occupe qu’une partie proportionnellement limitée, parce qu’il n’y a pas lieu de comprendre le terme de bibliothèque comme désignant une structure indépendante selon le modèle qui nous est aujourd’hui familier. De même, on comprend désormais toute l’attention donnée par le fondateur à la monumentalité et à la somptuosité d’un complexe de bâtiments que l’on imagine avant tout comme devant être représentatif...

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